«Il est probable qu'on trouvera choquant que je ne me résigne pas au silence après l'acte que j'ai commis, et aussi le non-lieu qui l'a sanctionné et dont j'ai, suivant l'expression spontanée, bénéficié. Mais si je n'avais pas eu ce bénéfice, j'aurais dû comparaître. Et si j'avais dû comparaître, j'aurais eu à répondre.
Ce livre est cette réponse à laquelle autrement j'aurais été astreint. Et tout ce que je demande, c'est qu'on me l'accorde ; qu'on m'accorde maintenant ce qui aurait pu alors être une obligation. Bien entendu, j'ai conscience que la réponse que je tente ici n'est ni dans les règles d'une comparution qui n'a pas eu lieu, ni dans la forme qu'elle y aurait prise. Je me demande toutefois si le manque, passé et à jamais, de cette comparution, de ses règles et de sa forme, n'expose pas finalement plus encore ce que je vais tâcher de dire à l'appréciation publique et à sa liberté. En tout cas je le souhaite. C'est mon sort de ne penser calmer une inquiétude qu'en encourant indéfiniment d'autres.»
Par ces mots qui ouvrent L'Avenir dure longtemps, un texte qu'il avait lui-même dactylographié et soigneusement préservé, projetant sa publication de son vivant, Louis Althusser souligne l'enjeu essentiel de ces pages en grande partie rédigées en 1985 : soulever la «pierre tombale du silence» posée sur lui depuis le meurtre de sa femme en novembre 1980. Ce document, unique en son genre, et d'une intensité tragique exceptionnelle, est suivi d'une première esquisse autobiographique, Les Faits, rédigée en 1976.
Le texte de ces deux autobiographies a été établi et présenté par Olivier Corpet et Yann Moulier Boutang.