Lorsque la guerre civile qui déchire son pays l'oblige à partir pour l'exil en 1948, Mihàlis Ganas a quatre ans. Et dix ans à son retour, en 1954. Et trente-six en 1980 quand il raconte cette enfance bouleversée, qui l'a marqué à jamais, dans Marâtre patrie. Nous le suivons en Albanie, puis en Hongrie, puis dans le village perdu d'Épire où il vivra jusqu'à l'âge d'homme. La mauvaise mère, ce n'est pas la Hongrie plutôt accueillante, mais la mère patrie, la Grèce des années 50, qui inflige à ses entants la misère économique et la répression politique. Pour décrire ces années terribles, dire le désordre de la mémoire avec ses souvenirs fulgurants et fragmentaires, dire surtout la fureur du monde qu'un enfant découvre et ne comprend pas, Ganas - qui par ailleurs est l'un des plus grands poètes grecs de son temps - invente une langue inouïe, rugueuse et raffinée, proche de celle des paysans de son enfance et en même temps de celle des poètes. Voilà pourquoi, dans Marâtre patrie, qu'on a pu qualifier de « récit-poème », on prend la réalité en pleine figure. Michki Volkovitch