Par un paradoxe après tout fort satisfaisant, Les chômeurs de Marienthal est sans doute, de toutes les oeuvres de Paul Lazarsfeld, celle qui nous satisfait le plus aujourd'hui, alors qu'elle est indiscutablement celle qui le satisfaisait le moins. Non, comme le diraient certains, parce qu'elle traite d'un objet positivement noté et connoté et qu'elle s'inspire d'une intention déclarée de servir et, dans ce cas, la «bonne cause». (...) Mais, par une étrange revanche, l'absence quasi totale de construction consciente et cohérente qui voue le chercheur à la fuite compensatoire dans un effort frénétique de recollection exhaustive est sans doute responsable de ce qui fait la valeur la plus rare de cet ouvrage : l'expérience du chômage s'y exprime à l'état brut, dans sa vérité quasi métaphysique d'expérience de la déréliction. A travers les biographies ou les témoignages (...) ce qui se livre ou se trahit, c'est le sentiment de délaissement, de désespoir, voire d'absurdité qui s'impose à l'ensemble de ces hommes soudain privés non pas seulement d'une activité et d'un salaire, mais d'une raison d'être sociale, et ainsi renvoyés à la vérité nue de leur condition.