On dit qu'Eschyle, le plus ancien des dramaturges athéniens dont l'œuvre soit parvenue jusqu'à nous, affirmait modestement s'être nourri des miettes du festin d'Homère. Eschyle partageait l'admiration unanime de ses compatriotes qui, dès avant le siècle de Périclès, avaient élevé l'Iliade et l'Odyssée au rang de monuments classiques - sans les mettre pour autant à l'abri de la critique, puisque la culture grecque ancienne ne connaît pas d'orthodoxie inattaquable. L'initiative, attribuée aux Pisistratides, de fixer le texte des deux épopées en une forme définitive pour éviter que les récitants n'y introduisent des variantes de leur cru et ne déforment l'original, en une civilisation où pourtant l'oralité était encore très prégnante, témoignerait si besoin était de la position d'exception que la Grèce reconnut très tôt à leur auteur. De fait, ni les écoliers qui déchiffraient en ânonnant les exploits d'Achille ou les errances d'Ulysse, ni leurs maîtres d'école ou autres intellectuels du Ve siècle ne doutaient que les monuments inauguraux de leur littérature fussent à mettre au compte d'un aède unique, d'un compositeur de génie, et que le nom de ce créateur, atteignant dès les aurores une perfection qui ne pourra plus ensuite qu'être approchée, eût été Homère. On a pu soutenir plus tard qu'il s'agissait d'œuvres collectives. De longues disputes ont surgi à ce sujet, mais aujourd'hui, qu'on les tienne pour collectives ou individuelles, avec toutes les positions intermédiaires imaginables, il n'est plus guère de savant pour contester l'homogénéité extraordinaire et le statut d'œuvres organiques de l'Iliade et de l'Odyssée. Le présent numéro d'Europe, auquel ont collaboré des spécialistes de réputation internationale, témoigne en tout cas de la vigueur de la recherche et de son aptitude à faire surgir du neuf à partir de textes dont des siècles d'exégèse n'ont pas tari la fécondité.